Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Charlotte Charpot, le blog de l'auteur.
15 août 2009

Mémoires d’un entretien avec Didier Herbots.

 

Voila qui est fait ! J’ai rencontré l’homme sandwich au sein d’une humble ASBL de quartier. Fort sympathique échange qui nous a mené à évoquer les diverses avanies dont nous ou les collègues de notre entourage avaient été victimes l’an passé…

Venant de France et ayant eu l’habitude d’échanger librement avec mes collègues sur les risques et déceptions quotidiennes du métier, j’ai pris l’habitude depuis longtemps de ne plus parler de ce qui me travaille, simplement parce que je sais que le collègue est dans le même état que moi, ou un peu moins bien.

 

C’est simple, en France dans ma ZUP, nous passions environ une heure par jour (au moins) extra muros à raconter le contenu de nos journées, et les dérapages, des élèves ou de la direction.

Au bout de quelques années pourtant, alors que nous avions appris à nous connaître et à mesurer d’un coup d’œil l’état de fatigue du voisin, notre ligne de conduite a changé.

Epuisés le soir, en reprenant les voitures pour parcourir en covoiturage les

55 Km

qui nous séparaient de notre domicile, pour décharger l’air de son électricité, il se faisait souvent que nous choisissions au contraire de nous changer les idées en parlant de tout SAUF de la journée ou de la semaine écoulée, pour finir convivialement sur la place des beaux arts en buvant un ricard. (L’abus d’alcool…etc.)

Ceci n’enlevait rien à notre solidarité et au fait qu’en cas de coup dur (..Enfin… plus dur qu’à l’accoutumée…), nous savions qu’assurément, nous pourrions compter les uns sur les autres pour faire face et quérir un peu de soutien.

 

En Belgique, j’étais donc également certaine que tous les enseignants avaient la conviction très rapide, à force d’échange, qu’un élève infernal à gauche est infernal à droite et que TOUS les collègues sans exception étaient au courant que le voisin souffrait dans une mesure à peu près similaire à la sienne, variant au gré de la fatigue, des années de métier, de l’endurance et du caractère de chacun.

 

Hé bien non. Quelle n’est pas au jour le jour ma surprise d’entendre des profs dire « ha ! ça fait du bien de savoir qu’on est pas seul ! Ha que c’est bon de lire ce témoignage parce que enfin, je suis certaine que ma faiblesse est due aux événements et que je ne déraille pas, isolée et incomprise de tous ! Que je suis heureux de me retrouver dans ce texte, parce que tout ce que nous vivons y est écrit noir sur blanc ! »

 

J’en conclus deux choses : la première est que la situation est encore plus grave que ce que j’imaginais, et la communication encore plus rare entre les acteurs de l’éducation. Je suis étonnée que certains enseignants se sentent encore si seuls et si incompris côté Belge. Rencontrer un homme qui au bout de 20 ans de carrière et 15 ans de plus que moi est étonné lorsque je lui dis que tout ce qu’il évoque, je l’ai aussi dans mes archives à 29 ans, c’est quand même surprenant…surtout lorsqu’il conclut « ha bon ! toi aussi ??!! » hé bien oui évidemment, moi aussi, tout le monde aussi, enfin ! Personne n’enseigne dans le pays de OuiOui aujourd’hui! Personne n’est seul mais personne ne le sait parce que tout le monde a peur.

 

Clous et pépites dans les serrures, sperme sur les savonnettes, objets lourds lancés au visage, agressions entre élèves, hurlements incessants, jeux de bagarre quotidiens qui tournent mal, prise de corps et bousculades, dangerosité des machines outils dans les sections professionnelles, risques multiples en dehors du cadre de la salle de classe, fugues, éjection répétée des élèves et du prof de tous les musées, salles de ciné, de théâtre, opéras de la ville avec interdiction d’y remettre les pieds, craquages récurrents des intervenants extérieurs, qui en quelques semaines à raison de deux heures semaine refusent de revenir ou finissent en larmes, port d’armes, dégradations diverses, coups de pieds dans les portes, poubelles brûlées dedans et dehors, jets de pierre à la sortie et à l’entrée, dégradation des véhicules du personnel, insultes répétées, agression au secrétariat, absence des dirigeants lors d’incidents majeurs….bref, en pagaille au quotidien, c’est partout que ça se passe !

 

Ma seconde conclusion est que l’enseignant Français, même si selon les établissements on ose plus ou moins se livrer aux collègues, et qu’il arrive aussi qu’un enseignant en difficulté reste isolé de peur ou de honte d’avouer son calvaire, nous avons de la chance sur plusieurs points.

 

Sachez le collègues Belges : La liberté de parole existe, ainsi que la liberté d’affichage. Si chez vous le directeur fait la loi dans une salle des profs, en France, le directeur est « toléré » dans cette même salle. Dans les faits jamais je n’ai vu l’accès interdit à un directeur, mais s’il y vient, c’est amicalement, et la plupart ont l’élégance de s’y faire discret. Les « proviseurs » qui chez nous sont des « CPE » sont des collègues sans influence hiérarchique devant lesquels nous ne devons pas répondre de nos actes, mais travailler au mieux pour avancer ensemble.

Le droit d’affichage est total, qu’on mette au mur des posters tendancieux, caricaturaux ou des tracts politiques, un cadre spécial est réservé pour tout ce qui touche au domaine syndicaliste, et on n’hésite pas à multiplier petites annonces, petits mots, cartes de vacances, proposition de vente de noix, de miel, de services, selon les régions de France.

Si chez vous l’idée même d’organiser une réunion syndicale semble surhumaine, chez nous c’est légal, et ça ne pose aucun souci, souvent le chef d’établissement y est convié, parce que souvent encore, nous avons une relation positive avec lui ou elle. Des chefs d’établissement paternalistes et compréhensifs j’en ai croisé plein.

 

Après, en dehors du cadre légal, oui, les pressions morales son multipliables à loisir, soit. Mais les outils de défense existent bel et bien. Surtout si quelqu’un de dynamique qui les connaît bien les met en œuvre et les fait connaître à tous.

 

Alors voilà. Dites vous bien, les terrorisés d’un côté comme de l’autre de la frontière, les désespérés que si on veut s’extraire de cette peur sourde et de cette fragilité constante issue des conditions de travail et du fantôme d’une autorité toute puissante, il faut parler, et chercher de l’aide.

 

Le problème qui se pose en Belgique est que les syndicats ont tous une couleur politique très affirmée, et qu’il peut arriver que l’on ne sache plus très bien si on est défendu ou qu’on y a des détracteurs parce que l’ensemble est noyauté…une alternative sous forme d’ASBL neutre serait possible. C’est l’idée de M. Herbots. Je pense qu’un tel organe d’aide et d’écoute serait sans doute très utile en Belgique.

Publicité
Publicité
Commentaires
Charlotte Charpot, le blog de l'auteur.
Publicité
Albums Photos
Charlotte Charpot, le blog de l'auteur.
Publicité